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LUTTE CONTRE LES EXCLUSIONS PASSIVES

November 30, 2019 679 1 comment

 

Au Cameroun, les écoles coraniques ne bénéficient d’aucun statut juridique ou ancrage institutionnel.

A l’origine, il convient de relever que la loi N°064/L/11 du 26 juin 1964 organisait l’enseignement privé en quatre ordres : catholique, protestant, islamique et privé confessionnel ou laïc. Les écoles coraniques ne sont nullement prises en compte par cette loi.

Par conséquent, il n’existe pas de façon officielle, des textes qui régissent la création ou le fonctionnement des écoles coraniques, tant au sein de l’administration publique en charge de l’éducation de base qu’au niveau des promoteurs. 

Ces écoles coraniques qui foisonnent dans les villages des Régions de l’Extrême-Nord et du Nord sont vouées fondamentalement à l’étude du coran. A l’école coranique, « l’enfant apprend le coran, la prière et la vie du prophète Mohamed ».

L’école coranique est un cadre de formation où aucun contrôle institutionnel ne s’exerce sur l’enseignement dispensé, y compris celui de l’autorité religieuse. C’est généralement les communautés et les familles musulmanes qui cautionnent le maître en lui confiant leurs enfants.

 Maitres coraniques de l’arrondissement de Bogo, Département du Diamaré

 C’est un cadre d’éducation non diplômant qui se fait selon des principes qui sont spécifiques à l’islam car contrairement aux écoles franco-arabes qui combinent l’éducation religieuse et l’éducation formelle, les écoles coraniques se caractérisent par une socialisation religieuse de l’enfant.

De nombreux enseignants n’ont suivi aucune formation spécifique pour enseigner. Dans certaines écoles coraniques d’élites, l’on y retrouve des maîtres et/ou des promoteurs qui ont suivi des formations sommaires du coran dans certains pays africains (Nigéria, Somalie, Soudan, Tchad, Egypte, Maroc). Il y en a aussi qui ont bénéficié des « bourses » privées de formation dans les pays du Moyen Orient (Arabie Saoudite, Koweit, Qatar, etc.).

Exception faite de ce type de formation à l’étranger, la plupart des maîtres coraniques des cycles élémentaires n’ont appris à enseigner qu’en exerçant auprès des maîtres (père, oncle ou autres) qu’ils ont assidument assistés pendant longtemps avant d’assumer leur propre autonomie.

L’évaluation repose sur la capacité de l’enfant à écrire et à mémoriser tout ce qui lui est enseigné. L’apprenant à une évaluation partielle et à une autre sommative.

Au niveau de l’évaluation partielle, le maître procède généralement à la lecture de certains versets du coran, puis il demande aux apprenants de réciter ou de reprendre le passage qu’il a lu. Celui qui parvient à le réciter est reconnu comme l’ayant effectivement assimilé ».

 Maitres coraniques de Goulfey, Département du Logone et Chari

 Dans les Régions de l’Extrême-Nord et du Nord, il existe deux formes d’école coranique : l’école coranique traditionnelle (a) et l’école coranique transhumante (b)

a) Les écoles coraniques traditionnelles

Dans cette catégorie d’école, le problème de scolarisation ne se pose pas parce que les enfants fréquentent à la fois l’école coranique et l’école formelle (l’école de la république ayant les valeurs républicaines de Paix - Travail - Patrie) ;

Les enfants sont pris en charge par leurs parents et résident chez eux ;

Le maître coranique est connu des parents et de la communauté ;

Pendant le week-end, les congés et les vacances, les cours se déroulent 2 à 3 fois par jour sauf les jeudis (toute la journée) et les vendredis matin.

b) Les écoles coraniques transhumantes

Pour la plupart, le maître coranique est étranger au milieu où il exerce ; il vient avec ses apprenants et en recrute d’autres sur place ;

Les enfants ne sont pas pris en charge par leurs parents ; d’où, l’existence de la mendicité et d’autres déviances ;

Les enfants ne vont pas à l’école formelle car les parents ont fait un choix pour eux au profit de l’école coranique ;

Parmi les apprenants, l’on retrouve des déscolarisés dont des camerounais et des étrangers ;

 L’école coranique transhumante est celle qui pose d’énormes problèmes d’ordre public. La réticence de certains parents à envoyer leurs enfants à l'école classique est bien marquée. Elle semble être plus marquée dans les régions de l’Extrême-nord et du Nord fortement islamisées. La crainte de l'aliénation des enfants de leur propre culture y est renforcée par le péril que présentait l'abandon possible de la religion. Les hésitations manifestées par les familles semblent caractériser l'attitude d'une bonne partie des populations musulmanes pauvres.

Pour un père musulman pauvre et éprouvé par le destin, la perspective de voir son enfant trouver un emploi dans l'administration d’Etat peut être un lointain rêve. Ce père ressent alors et douloureusement la présence de l’école classique comme une menace pour la foi et les valeurs qui lui sont propres. L’état de pauvreté de ce père ainsi que celui d’autres chefs de famille constituent un terreau pour des groupes radicaux, qui peuvent facilement recruter parmi ces couches vulnérables.

 Une apprenante de l’école coranique du Lamidat de Maroua

 L’école coranique transhumante forme de milliers d’enfants qui sont appelés à mendier tous les jours.

En longueur des journées, ces d'enfants mineurs, calebasse ou assiette à la main font la manche. Par tous les temps, pieds nus et visages couverts par les traits d'une vie dure, ces pauvres hères pour la plupart inscrits dans les écoles coraniques écument les commerces, les banques, les pharmacies, les mosquées, les lieux de restauration, les gares routières et autres points de grand rassemblement. Rien n'empêche ces intrépides enfants de quémander piécettes et nourriture pour ramener leur pitance à leurs maîtres.

Abandonnés par leurs parents et confiés à des maîtres dont la première identité remarquable est le dénuement matériel, ces apprenants tout en étudiant doivent se battre au quotidien pour chercher leur ration quotidienne. L'épreuve est terrible pour ces jeunes qui ne bénéficient pas d'une scolarisation publique et sont exposés aux multiples déviances que véhicule la rue.

Venus apprendre un savoir spirituel, ces enfants des écoles coraniques transhumantes finissent par être de petits voleurs, des délinquants et pour finir des cibles pour les recruteurs de la secte Boko Haram.

La plupart d'entre eux sont passés maîtres dans l'art de voler les chaussures, les petits objets facilement transportables dans les maisons. On les voit régulièrement être condamnés par les tribunaux et incarcérés dans les prisons de Garoua et de Maroua pour des délits de vol en bande organisée, de consommation de stupéfiant.

Le phénomène qui dans ses manifestations s'assimile à la traite des enfants prend de plus en plus de l'ampleur dans les régions de l’Extrême-Nord et du Nord.

Le Gouverneur de la Région de l’Extrême-Nord, lui-même de confession musulmane, a pris la décision portant fermeture d’un certain nombre d’écoles coraniques et a interdit dans la foulée la mendicité des enfants dans son unité de commandement.  L’école coranique est un phénomène culturel dans ces Régions. Laisser l’école coranique c’est abandonner l’âme de musulman.

Ces enfants sont envoyés dans les rues par des marabouts peu scrupuleux, souvent avec l’assentiment de leur famille.

L’équipe de l’Observateur a pendant 8 mois sillonnée plus d’une centaine d’écoles coraniques et elle a rencontré des maitres pour comprendre le phénomène. Au cours de ces différentes visites, des solutions ont été envisagées pour l’année 2020. Nous pensons travailler de concertation en les Maîtres coraniques et les Lamibés qui sont aussi des chefs religieux dans la communauté musulmane.

 

 

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